Pêches sentinelles - Morue
Historique
Depuis la découverte du Nouveau Monde, la Morue de l’Atlantique est la principale espèce commerciale pêchée dans l’Atlantique nord-ouest. Dès le début de la colonisation de l’Amérique du Nord, la morue de l’Atlantique a joué un rôle important; les Portugais et les Basques français et espagnols ont commencé à la pêcher dans les eaux de Terre-Neuve dès le début du XVIème siècle. On rapporte que 128 bateaux venaient pêcher la morue à Terre-Neuve avant 1550. Cette pêche a ensuite continué de s’accroître à Terre-Neuve et le long de la côte atlantique, partout où la morue était abondante. Vers la fin du XVIIème siècle, les prises de morue atteignaient presque 100 000 tonnes métriques par année et montèrent jusqu’à 200 000 t par année à la fin du XVIIIe siècle. Au cours du XlXe siècle, les prises de morue ont varié de 150 000 à 400 000 t selon les années. L’industrie navale a également profité de cet essor de la pêche puisqu’il a donné lieu à la construction de superbes goélettes aux lignes racées, pouvant rivaliser de vitesse avec n’importe quel autre voilier. Parmi ces bateaux de pêche, le Bluenose, construit aux chantiers navals de Lunenberg en Nouvelle-Écosse, est probablement le plus prestigieux, ayant remporté plusieurs courses et dont la silhouette orne les pièces de 10 cents canadiennes.
Description
La morue de l’Atlantique (Gadus morhua) est l’une des 59 espèces de la famille des Gadidae. C’est un poisson marin fréquentant surtout les eaux froides des mers du Nord. Il s’agit d’un poisson généralement gris ou vert, avec un ventre blanchâtre. La morue possède trois nageoires dorsales et deux nageoires anales avec des rayons mous. Ses écailles sont petites et lisses. Elle arbore habituellement sur la mâchoire inférieure un barbillon allongé ressemblant à un poil. La bouche est grande, la mâchoire supérieure débordante et les ouvertures branchiales sont larges. La ligne latérale de la morue est pâle et la queue légèrement concave, presque carrée. Les spécimens moyens pèsent de 2 à 3 kg et mesurent de 60 à 70 cm. La morue n’excède pas habituellement 30 kg, bien qu’un spécimen pesant presque 100 kg et mesurant plus de 180 cm ait été rapporté.
Distribution
Dans le nord-ouest de l’Atlantique, la morue se répartit sur tout le plateau continental, des eaux côtières peu profondes (à partir de 5m) jusque dans des eaux pouvant atteindre 6700 m de profondeur. On la rencontre le long des côtes est et ouest du Groenland. La limite nord de l’espèce se trouve au large de la baie Frobisher et s’étend jusqu’à la baie d’Ungava. La morue est plus abondante le long de la côte du Labrador et au large de Terre-Neuve, sur les Grands-Bancs. On la trouve également dans le golfe du Saint-Laurent, sur la plate-forme Néo-écossaise, dans le golfe du Maine et, au sud, jusqu’au Cap Hatteras. Dans les eaux canadiennes, la morue comprend plusieurs stocks distincts possédant des caractéristiques particulières et il y a très peu de croisements entre ces stocks contigus.
Migration
Grâce à l’étiquetage de morues reprises plus tard par des pêcheurs, on sait maintenant que certains stocks connaissent des migrations importantes. Par exemple, les poissons qui passent l’hiver le long de la côte sud-ouest de Terre-Neuve (4R; 4s; 3Pn) migrent dans le nord du golfe du Saint-Laurent, le long de la Côte-Nord du Québec et dans le détroit de Belle-Isle en été. Dans le détroit de Belle-Isle, au nord de Point Riche (Terre-Neuve) et de Blanc-Sablon (Québec), la morue du Golfe se mêle avec les bancs du Labrador et de l’est de Terre-Neuve. La morue du secteur sud du golfe Saint-Laurent (4T; 4Vn) passe l’hiver au large de l’île du Cap-Breton, au sud du chenal Laurentien, et retourne dans le Golfe en été, aux environs des hauts-fonds des Îles-de-la-Madeleine, de la baie des Chaleurs et de la Gaspésie. Il y a des populations locales de morue le long de la côte de la Nouvelle-Écosse qui ne migrent que sur de petites distances. Elles se tiennent surtout près de la côte, mais s’en éloignent un peu pour passer l’hiver dans des eaux plus profondes, puis y retournent en été. Les prises de spécimens étiquetés dans des localités côtières durant la migration d’été donnent à penser qu’un grand nombre de morues reviennent à leur point de départ ou dans les environs immédiats dans les années suivant l’étiquetage. On possède des preuves semblables concernant le retour de ce poisson aux lieux de frai occupés en hiver. Cette tendance n’est pas aussi marquée que celle du Saumon de l’Atlantique, mais joue quand même un rôle important pour ce qui est de conserver l’unicité des composantes des stocks.
Reproduction
La femelle atteint la maturité sexuelle vers 6 ans, bien que l’âge du premier frai varie entre cinq et huit ans, selon le stock. La taille, lors du premier frai, est comprise habituellement entre 45 et 60 cm de longueur. Les mâles atteignent généralement la maturité un peu plus tôt et ont une taille plus petite que les femelles. La morue fraye dans un vaste secteur du plateau continental et dans des eaux dont la profondeur est très variable. Celles des côtes du Labrador et du nord de Terre-Neuve frayent de mars à mai le long du versant extérieur du plateau continental, dans des eaux dont la profondeur varie de 200 m à 600 m et la température au fond de 2,5°C a 4°C. Sur les bancs de Terre-Neuve, la période de frai dure d’avril à juin. Sur la côte sud de Terre-Neuve, elle commence en mai. Sur les bancs de la Nouvelle-Écosse, la morue fraye en mars et en avril. A l’occasion, dans des régions limitées, le frai a lieu l’automne. La morue est très prolifique et les femelles d’environ 80 cm de longueur pondent quelque deux millions d’oeufs, tandis que celles d’environ 130 cm en produisent plus de 11 millions. Les oeufs sont ronds et ont un diamètre de 1 à 2 mm. Ils peuvent flotter dans des eaux dont la salinité est d’environ 30 PSU, ce qui correspond à des eaux côtières de surface dans le golfe du Saint-Laurent. Les oeufs fertilisés flottent ainsi à la surface au moment de l’éclosion et les larves qui en résultent sont alors à la merci des courants et des prédateurs. Le taux de mortalité est énorme; en moyenne, seulement un œuf sur un million réussira à terminer le cycle de la vie et à devenir un poisson mature. La larve nouvellement éclose (d’une longueur d’environ 5mm) se nourrit du sac vitellin attaché à son abdomen pendant une ou deux semaines, après quoi le vitellus est absorbé. La larve doit alors trouver ses propres proies. À environ 4 cm, la jeune morue descend au fond de l’océan pour s’y nourrir.
Alimentation
Les alevins se nourrissent principalement de copépodes, d’amphipodes et d’autres petits crustacés vivant dans le plancton, tandis que les jeunes poissons consomment surtout des crevettes, des amphipodes, des euphausides et des larves d’autres organismes marins. Quant à la morue adulte, elle affectionne principalement les poissons comme le capelan, le hareng, le lançon, la plie, le jeune flétan du Groenland, les brabes ainsi que les crevettes, les ophiures, les cténophores.
Croissance
On peut déterminer l’âge de la morue en comptant les anneaux qui s’ajoutent chaque année aux otolithes, deux concrétions minérales de couleur blanche qui constituent le mécanisme d’équilibre situé dans le crâne des poissons. Le rythme de croissance de la morue varie selon les secteurs. Il peut aussi y avoir des différences du taux de croissance annuel selon l’importance des populations, la température de l’eau et la disponibilité de la nourriture. De façon générale, la morue du Labrador et de la côte est de Terre-Neuve croît moins rapidement que celle du secteur sud des bancs. Elle croît également moins rapidement dans le golfe Saint-Laurent que sur les bancs de la Nouvelle-Écosse et sur le banc de Georges.
Techniques de pêche
Les pêcheurs côtiers ont toujours utilisé une variété d’engins tels que trappes, palangres, filets maillants, lignes à main et turluttes, Ces dernières années, sont apparues les sennes à morue. La pêche hauturière par les goélettes se faisait habituellement au moyen de palangres mouillées et halées par des hommes en doris sur les bancs du large et les bancs côtiers. Avant 1900, toutes les prises de morue étaient conservées par salage. Les progrès techniques du XXe siècle ont annoncé les débuts d’une nouvelle ère pour la pêche de la morue et d’autres espèces. C’est à ce moment que sont apparus le chalutier à vapeur et le chalut à panneaux, de nouveaux engins qui ont accru l’efficacité de la flottille de pêche. Par la suite, l’introduction d’autres engins tels que le chalutier à pêche arrière, les treuils plus puissants; les écho-sondeurs servant à repérer le poisson dans les profondeurs et les navires-usines permettant la transformation et la congélation directement en mer, autant de percées technologiques qui ont entraîné une augmentation constante des captures.
Évolution des captures (de 1950 à nos jours)
Les prises de morue dans l’Atlantique nord-ouest sont demeurées stables (environ 900 000 t) dans les années 1950, mais ont beaucoup augmenté dans les années 1960, pour atteindre un sommet de presque 2 millions de tonnes. Durant les années 1960, la pêche hauturière sur les lieux de concentration de la morue sur le plateau sud du Labrador avant, pendant et après le frai ont nui aux pêches côtières en réduisant la quantité et la taille des prises. Cette surexploitation des stocks a entraîné une diminution spectaculaire des prises dans les années 1970, avec moins de 500 000 t en 1977, et a conduit à l’effondrement des pêches côtières et hauturières dans les années 90. Pendant 35 ans (1953-1987), les prises sur la côte sud du Labrador et la côte est de Terre-Neuve ont représenté presque 40 % du total des pêches dans l’Atlantique nord-ouest.
Réglementation
Dès 1973, les principaux stocks de morue de l’Atlantique nord-ouest ont fait l’objet de règlements sur les contingents. Le « total des prises admissibles » (TPA) pour chaque stock est déterminé à la suite de recommandations scientifiques présentées à l’Organisation des pêches de l’Atlantique nord-ouest (OPANO). La division des stocks est une unité utile pour la gestion des ressources halieutiques. Pour la morue, douze stocks ont été identifiés dans le nord-ouest de l’Atlantique, dont 2 dans le Golfe du Saint-Laurent :
1. Nord du golfe du Saint-Laurent (Divisions 4R+4S+3Pn de l’OPANO)
2. Sud du golfe du Saint-Laurent (Divisions 4T+4Vn de l’OPANO)
La détermination des TPA pour chacun des stocks de morue et les mesures servant à en assurer le respect dans les eaux du Canada sont devenues de compétence canadienne en 1977, année où la limite de la zone économique exclusive des 200 milles a été imposée.
Référence
Adaptation du document: La morue de l’Atlantique, par W. H. Lear, Coll. Le Monde sous-marin, publié par Pêches et Océans Canada, 8 pages, 1993.