Pêches sentinelles - Flétan du Groenland
Historique
Le turbot est un poisson plat d’eau profonde connu sous des noms différents selon les peuples. Les Américains l’appellent le flétan du Groenland, les Canadiens de l’Est le désignent ou turbot du Groenland ou turbot de Terre-Neuve.
Ce poisson marin est similaire au flétan de l’atlantique, mais il est beaucoup plus petit (atteignant au maximum une taille de 120 cm et un poids de 25 kg). Sa face supérieure est même de couleur plus sombre. De là ses autres noms: le flétan noir ou bleu et le petit flétan.
Naguère, les pêcheurs canadiens se trouvaient en concurrence avec les pêcheurs des nombreuses flottilles étrangères pour l’exploitation du turbot dans I’Atlantique Nord-Ouest. Toutefois, depuis l’établissement de la zone de pêche de 200 milles en 1977, les flottilles étrangères ne peuvent plus pêcher dans nombre de zones et les prises canadiennes de cette espèce lucrative ont considérablement augmenté.
Distribution
Le turbot du Groenland, qui préfère les eaux froides des régions septentrionales des océans Pacifique et Atlantique, est plus abondant à proximité des stocks importants de crevette nordique. Dans I’Atlantique Nord-ouest, il abonde particulièrement dans les baies ou les fjords côtiers profonds de l’ouest du Groenland, au large du plateau continental de l’île Baffin et dans la région de la baie d’Ungava du détroit d’Hudson. On le trouve également à de grandes profondeurs le long de la pente continentale du Labrador et dans les baies d’eau profonde qui découpent la côte nord-est de Terre-Neuve. À l’approche de sa maturité, il semble migrer en grand nombre vers le détroit de Davis.
Le turbot du Groenland est moins abondant au sud des talus septentrionaux des grands bancs de Terre-Neuve, mais ces dernières années, il est venu peupler le golfe Saint-Laurent en nombre relativement important. En hiver, avant le frai, les poissons se regroupent dans le chenal Laurentien au sud-ouest de la baie Saint-Georges et, en été, on observe des concentrations se nourrissant à l’embouchure du Saint-Laurent au nord de I’île d’Anticosti. La pointe sud-est du plateau continental Écossais semble marquer la limite méridionale de l’aire de distribution de cette espèce.
On peut trouver des turbots en petit nombre à des profondeurs inférieures à 100 mètres, mais la plupart d’entre eux sont capturés entre 200 et 600 mètres près des fonds marins mous. Cependant, dans la partie sud de leur aire de distribution, ils vont jusqu’à 1500 mètres de profondeur. La température d’eau optimale pour l’espèce varie entre 1°C et 3°C. D’ordinaire, le turbot peut tolérer une large gamme de températures, mais il y est plus sensible pendant la phase de reproduction.
Description
L’espèce Reinhardtius hippoglossoides appartient aux Pleuronectiformes, ordre de poissons plats bilatéralement symétriques. Les membres de cet ordre se métamorphosent de façon surprenante pendant le stade larvaire. Au début de leur existence, ils nagent avec la nageoire dorsale vers le haut, comme un saumon ou une truite. Cependant, un œil migre progressivement autour du sommet du crâne de la larve pour venir à proximité de l’œil placé de l’autre côté de la tête. Les os du crane, les nerfs et les muscles subissent des modifications correspondantes. Par exemple, la face aveugle devient plate alors que l’autre face s’arrondit légèrement. Par la suite, le petit poisson se retourne et nage sur sa face aplatie et sans yeux. Quelques caractéristiques distinguent le turbot du Groenland des autres poissons plats. Normalement, les yeux des poissons plats sont situés sur la face supérieure et colorée du corps et la face aveugle est blanche. La plupart de ces poissons de I’Atlantique Nord sont dextres, c’est-à-dire que les individus de l’espèce reposent sur le côté gauche lorsque l’œil migre de la gauche vers la droite pendant la croissance larvaire. Toutefois, chez le turbot du Groenland, l’œil gauche n’a pas complètement migré sur le côté droit et il est situé sur le bord supérieur du front. En outre, la face aveugle n’est pas blanche, mais d’un gris sombre alors que l’autre face est presque noire. Enfin, le poisson n’est pas parfaitement symétrique de sorte que certains membres de l’espèce, (les petits poissons qui se tiennent le plus souvent dans les profondeurs moyennes de l’océan au lieu de nager au-dessus du fond) ont été observés avec la nageoire dorsale vers le haut.
Ces caractéristiques spéciales rendent le turbot du Groenland exceptionnellement mobile et la position de l’œil gauche lui donne un champ de vision plus grand que celui de la plupart des poissons plats.
Reproduction
Un seul poisson peut pondre jusqu’à 160,000 œufs, qui dérivent à moyenne profondeur pendant quelques semaines, puis remontent sous forme de larves à la surface où ils sont emportés par les courants. Dans le golfe Saint-Laurent, les turbots matures se regroupent et fraient en hiver dans le chenal Laurentien au large de la pointe sud-ouest de Terre-Neuve. Les jeunes poissons se rendent ensuite dans des aires de croissance sur la côte nord de I’île d’Anticosti où de petits crustacés leur assurent une nourriture abondante.
Alimentation
Le turbot du Groenland est très vorace. On a trouvé dans l’estomac du turbot des poissons entiers, à peine plus petits, d’espèces qui, comme lui, partagent une biotope dans la mer.
Les petits turbots (mesurant moins de 20 cm) se nourrissent de plancton et de crustacés comme la crevette, alors que les plus gros poissons jusqu’à 80 cm) se nourrissent principalement de capelan dans les eaux du sud du Labrador et de Terre-Neuve.
Les turbots qui peuplent les chenaux profonds du nord du Labrador et de l’ouest du Groenland s’alimentent surtout de crevettes. Le régime des très gros poissons se compose essentiellement d’espèces de plus grande taille comme le calmar, la morue, le sébaste et même d’autres turbots.
Croissance
Le nombre de mâles et de femelles est pratiquement égal, tout comme leur taux de croissance, jusqu’à ce qu’ils atteignent une longueur de 45 cm environ, à I’âge de six ou sept ans. Par la suite, le nombre de mâles diminue et les survivants grandissent beaucoup plus lentement que, les femelles. Les poissons de plus de 90 cm sont tous des femelles. Ce phénomène s’explique par le fait que, I’énergie que le mâle en voie de maturation emploie pour sa croissance, est surtout utilisée par la suite pour la formation des produits nécessaires à la fertilisation des œufs. Les femelles tendent à vivre plus longtemps; on en a signalé des spécimens de 20 ans, tandis que les mâles dépassent rarement 12 ans.
Prédateurs
Les taux de blessures sont élevés chez le turbot du Groenland. Le prédateur le plus redoutable des adultes est les laimargue, qui peuple en grand nombre les mêmes eaux aux mêmes profondeurs que le turbot. Les pêcheurs constatent fréquemment en relevant leurs lignes garnies
d’hameçons, que leurs prises ont été mutilées par cette espèce de requin.
D’autres prédateurs importants du poisson adulte sont les phoques et deux espèces de baleines arctiques: le béluga et le narval. Les larves de turbot sont mangées par la morue et le saumon tandis que le jeune poisson vivant sur le fond et les juvéniles de taille moyenne sont victimes de la morue et du turbot de plus grande taille.
Pêche
Aux fins de gestion, le turbot du Groenland se distingue comme faisant partie de trois stocks dans I’Atlantique Nord-Ouest : Île Baffin/Ouest du Groenland, Labrador/Est de Terre-Neuve, Golfe Saint-Laurent.
Les petits poissons (de moins de 20 cm) sont fréquemment capturés comme prises accessoires par les chalutiers qui pêchent la crevette à des profondeurs entre 200 et 400 mètres près du fonds marin ou dans les filets dérivants à saumon près de la surface. Les plus gros poissons tendent à être pris dans les zones plus profondes par les palangriers et les chalutiers de haute mer, soit à des profondeurs de plus de 1000 mètres.
La pêche du turbot est assez récente dans le golfe Saint-Laurent et les débarquements annuels ont varié entre 600 et 1000 t jusqu’en 1976. En 1977 et 1978, les débarquements grimpaient à 4,000 t et l’année suivante, ils se chiffraient à plus du double, atteignant presque 10,000 t. Cependant, en 1980, les prises baissaient pour s’établir à un peu plus de 7,000 t.
Jusqu’en 1979, la plupart des débarquements étaient constitués de prises accessoires effectuées en été sur la côte nord de I’île d’Anticosti par les pêcheurs du Québec exploitant la crevette. Une partie des prises était aussi ramenée par les chalutiers de Terre-Neuve qui pêchaient au sud-ouest de la baie Saint-Georges dans le chenal Laurentien, où le turbot forme des concentrations avant le frai pendant l’hiver.
Cependant, depuis 1979. la pêche est pratiquée presque exclusivement par les pêcheurs québécois qui se servent du filet maillant sur la côte sud-ouest de l’île d’Anticosti et à proximité de l’embouchure du Saint-Laurent.
Référence
Adaptation du document : Le Turbot du Groenland, par Bowering, W. R., Coll. Le monde sous-marin, Publié par Direction générale des communications, Pêches et Océans, Ottawa (Ontario), 5 p. 1993.