Les défis de la navigation sur le Saint-Laurent : perspective d’un pilote maritime

Notre fleuve Saint-Laurent est l’un des cours d’eau les plus difficiles à naviguer au monde. Plusieurs particularités expliquent son caractère unique. Afin d’élucider et de comprendre les défis liés à la navigation, nous avons rencontré le capitaine Alain Arseneault, pilote d’expérience de la Corporation des pilotes du Saint-Laurent Central et président du Centre national d’expertise en pilotage maritime. Il nous partage d’abord son expérience en mer, de la préparation des missions à leur exécution, et enfin, son opinion sur ce que sera la navigation du futur. 

Navigable à l’année, beau temps, mauvais temps, notamment dans des conditions de glace en hiver, ce cours d’eau de 1197 km prend sa source dans les Grands Lacs. Il a un débit de près de 10 100 mètres cubes occasionné par ses nombreux affluents. Il a la particularité d’être peu profond et étroit à l’intérieur du continent.

« Le chenal de navigation ne peut avoir que 200 à 300 mètres de large », souligne Alain. « Par exemple, dans mon secteur de pilotage entre Trois-Rivières et Montréal, le chenal de navigation est en bonne partie dragué mécaniquement pour conserver une bonne profondeur. En résumé, poursuit-il, le fleuve Saint-Laurent est un cours d’eau assez particulier à cause de la glace, de la météo qui peut être changeante, des grandes marées et des courants. »

Le pilotage maritime : assurer la sécurité des navires, de l’environnement et des populations

Le pilotage* existe à travers le monde, particulièrement dans les eaux resserrées et autour de grands ports. Au Canada, il s’agit d’un service public dont la priorité est d’assurer la sécurité des navires, de leur équipage et de l’environnement.

« Contrairement à un pilote d’avion qui connaît très bien son appareil, mais qui n’a aucune connaissance des lieux dans lequel il évolue, compare Alain, le pilote maritime est un expert d’une section donnée du fleuve Saint-Laurent. » 

Au terme de sa formation, le pilote doit connaître son secteur par cœur et être en mesure d’y naviguer, peu importe  les conditions et le type de navires. Il doit connaître la bathymétrie du chenal, mais également les profondeurs hors chenal au cas où le navire aurait un problème mécanique et devrait s’échouer. Il doit pouvoir le faire en minimisant les impacts sur le navire, les populations et l’environnement. Bien que le pilote ait une connaissance approfondie de son milieu, l’environnement dans lequel il évolue est constamment changeant, d’où la nécessité d’avoir accès à des données précises et à jour. 

Un brin d’histoire: le cartographe, ancêtre du pilote

Le pilotage a toujours existé, et ce, depuis le début de la colonisation. Lorsque les premiers explorateurs européens arrivèrent en Amérique, ils avançaient avec leur voilier aussi loin qu’ils le pouvaient de façon sécuritaire en plombant des sondes* pour évaluer la profondeur. Par la suite, le cartographe partait en chaloupe avec son équipage pour dessiner une carte et évaluer les fonds. Une fois l’endroit cartographié, le navire avançait de deux ou trois milles et le cartographe recommençait l’exercice. Ainsi, le cartographe est un peu l’ancêtre du pilote maritime d’aujourd’hui.

L’importance des données pour la navigation

Les données jouent un rôle essentiel, car elles outillent les pilotes à prendre les meilleures décisions pour la sécurité de leur mission. 

« Il faut savoir que le pilotage se fait encore aujourd’hui de façon visuelle, » rappelle Alain. « Bien sûr, nous avons des aides à la navigation telles que des radars et des cartes électroniques en temps réel selon notre position. Toutefois, poursuit Alain, une prestation de pilotage, qui peut durer entre 6 et 8h, se concentre exclusivement sur le positionnement du navire. Par conséquent, le pilote n’a pas le temps de fouiller dans plusieurs sources de données pour trouver l’information. Cela risquerait de détourner son attention et pourrait devenir dangereux. Étant donnée la spécificité du fleuve, il suffit d’ un bref moment d’inattention et nous pouvons sortir du chenal. »

« Voilà pourquoi l’application Conditions maritimes de l’OGSL est beaucoup utilisée par les pilotes. Les données sont colligées à un seul endroit et formatées selon nos besoins. »

Toutefois, il est important de noter que les données disponibles sur la plateforme de l’OGSL sont complémentaires aux outils de navigation sur lesquels se basent les décisions finales. 

Les données sont autant utilisées dans la planification d’une mission de pilotage que pendant celle-ci. À titre d’exemple, les niveaux d’eau permettent de déterminer la vitesse d’un navire d’un secteur à l’autre. Les forces des vents peuvent déterminer si, au port de Montréal, un ou deux remorqueurs sont nécessaires pour l’accostage d’un navire.

« Pour me faire une idée globale de mon voyage, affirme Alain, je consulte le tableau de bord de Conditions maritimes que j’ai personnalisé pour mon secteur afin d’avoir en temps réel, en un coup d’œil, les données importantes pour moi et ma mission. De plus, lors de mes voyages, j’y consulte régulièrement les dégagements aériens afin de calculer l’espace disponible sous les ponts du fleuve. »

L’avenir de la navigation

Nous sommes dans une mouvance internationale, où il y a un désir de numériser toutes les données afin de supporter une navigation autonome et écoresponsable, c’est-à-dire qui utilise moins de carburant, avec des systèmes d’intelligence artificielle.

Selon Alain, la navigation utilisera des données en temps réel de plus en plus volumineuses. Toutefois, la technologie LTE* présentement disponible limite ce partage de données. La navigation autonome commerciale ne sera possible que lorsque les communications entre la terre et les navires seront sans restriction et fiable à 100 %. « Pour le moment, ce n’est pas le cas, souligne Alain. Par exemple, en voiture, je ne suis pas capable de maintenir la connexion cellulaire d’un appel téléphonique plus de 20-25 minutes entre Montréal et Québec sur la 20 ou la 40. Par conséquent, on ne peut pas faire naviguer des navires autonomes dans de telles conditions puisqu’il faut qu’il n’y ait aucune faille dans la communication. En eaux restreintes, la marge d’erreur est faible, par conséquent, il faut que la donnée circule et qu’elle soit fiable. »

Dans un avenir rapproché, la navigation autonome pourrait être possible, selon lui, pour des petits navires dédiés. Par exemple, en Europe, la navigation est automatisée sur certains canaux, lorsque la circulation est à sens unique et où il n’y a aucun risque pour les plaisanciers. Toutefois, il n’envisage pas que cela soit possible pour la navigation commerciale.

L’avenir serait selon lui aux systèmes embarqués* qui pourraient permettre aux équipages de prendre de meilleures décisions pour assurer la sécurité et l’efficacité des transits. Plus il y a de données précises et vérifiées, plus la marge d’erreur diminue. « Nous le voyons, par exemple, avec les dégagements aériens, affirme Alain. Avant, je vérifiais mon tirant d’eau, il y avait du squat*, les hauteurs des ponts étaient cartographiées, mais cela faisait plusieurs années que les données étaient les mêmes, sachant que l’acier se déforme avec le temps et la chaleur. »

Assurément, l’avenir est aux données dans le domaine de la navigation et l’OGSL poursuivra ses collaborations avec, d’un côté, les fournisseurs de données, et de l’autre, les utilisateurs, tels que les pilotes. Ainsi, l’OGSL s’assure de présenter aux pilotes maritimes des données de qualité à travers ses outils d’aide à la décision tels que Conditions maritimes.

Petit lexique de navigation

Pilotage: assistance donnée par un pilote maritime au capitaine afin de naviguer dans des passages difficiles dans des eaux resserrés, chenaux, ports ou voies maritimes, tel que le fleuve Saint-Laurent afin d’assurer la sécurité du voyage.

Plomber des sondes: faire couler un plomb de sonde, d’un poids d’environ 1kg relié à une corde graduée, afin de mesurer la profondeur sous le navire et cartographier les fonds marins.

Squat: Il s’agit d’un phénomène physique qui apparaît lorsqu’un navire est en mouvement avec une profondeur d’eau faible sous la quille, par conséquent le tirant d’eau est plus important par rapport à la profondeur disponible.

Système embarqué: Système électronique et informatique autonome spécialisé dans une tâche, souvent en temps réel.

Technologie LTE: L’acronyme signifie Long-Term Evolution. Il s’agit d’une norme dans la télécommunication sans fil. Cette technologie permet l’utilisation du haut-débit mobile.

Ève Morin Desrosiers
Coordonnatrice - Communication et partenariats
MorinDE@ogsl.ca

Date

2021/12/14
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